Le philosophe de l’enfermement
Michel Foucault (1926-1984) est considéré comme l’un des penseurs les plus influents du XXe siècle. Philosophe français, il a marqué notre compréhension des institutions modernes. Foucault s’intéressait aux relations complexes entre le savoir et le pouvoir et il a démontré comment ces deux forces travaillent ensemble pour organiser et contrôler les comportements individuels et collectifs.
Dans son ouvrage Surveiller et punir Foucault examine l’histoire des systèmes de punition [1]. Il explique comment la prison a remplacé les anciennes pratiques de supplices publics pour devenir le centre de gestion des comportements jugés « déviants ». Pour Foucault, la prison n’est pas qu’un lieu où l’on enferme les criminels. C’est une institution qui impose des normes sociales, transforme les individus et renforce les inégalités existantes.
La prison : un outil de contrôle social
Foucault montre que la prison n’a pas toujours existé sous sa forme actuelle. Avant le 18e siècle, les punitions étaient publiques et on infligeait au corps des condamnés des supplices qui servaient à montrer l’autorité du roi. À la fin du 18e siècle, la société adopte une approche différente. Les châtiments corporels sont remplacés par des peines de prison, qui se concentrent sur le contrôle de l’esprit et des comportements. La prison n’est pas l’asile psychiatrique, mais il est intéressant de constater qu’elles partagent une histoire très similaire [3].
Pour Foucault, ce changement n’est pas une évolution vers plus d’humanité mais une transformation des outils de pouvoir.
La prison moderne repose alors sur trois mécanismes principaux :
1- La surveillance
Foucault s’inspire du modèle du panoptique, une prison imaginée par le philosophe Jeremy Bentham [3]. Dans ce modèle, les détenus sont surveillés en permanence sans savoir exactement quand ils sont observés. Cette incertitude les pousse à se comporter comme s’ils étaient constamment sous surveillance.
2- La normalisation
La prison ne se contente pas de punir les actes criminels. Elle fixe aussi des standards de ce qui est considéré comme « normal » ou « anormal » dans la société. Cela marginalise davantage les personnes qui ne se conforment pas à ces normes.
3- L’examen
Les détenus sont évalués en permanence. Ces examens, qui combinent la surveillance et la production de données, permettent à l’institution carcérale de décider qui peut être libéré et qui doit être maintenu en détention. Ils renforcent le contrôle sur les individus tout en produisant un savoir sur eux.
Ces mécanismes, selon Foucault, dépassent le cadre de la prison. Ils reflètent une société où le contrôle s’exerce subtilement, par la surveillance et la discipline, plutôt que par la violence et les châtiments publics.
Un philosophe des institutions
Foucault élargit son analyse au-delà de la prison en s’intéressant à d’autres institutions comme les hôpitaux et...les écoles. Ces espaces, même s'ils ont des fonctions très différentes, partagent selon lui un même objectif soit celui de discipliner les corps et les esprits pour les conformer aux attentes de la société.
Par exemple, dans les écoles, la gestion des horaires, la disposition des espaces et les règles de conduite imposent une discipline constante aux élèves. L’éducation ne se limite pas à transmettre des savoirs, mais participe à la fabrication d’individus adaptés aux normes sociales dominantes. Les examens, comme ceux pratiqués en prison, classent les élèves selon leur performance et renforcent les inégalités plutôt que de les réduire.
En outre, Foucault met en lumière les liens entre ces institutions et la perpétuation des inégalités sociales. Par exemple, les détenus proviennent majoritairement de milieux défavorisés en plus d’avoir vécu plusieurs échecs scolaires. Au Canada, environ 75% des délinquants admis dans des établissements correctionnels fédéraux n’ont pas atteint leur cinquième secondaire ou l’équivalent [4]. La prison devient alors un lieu où ces inégalités se cristallisent et se reproduisent, plutôt qu’un espace de réhabilitation.
Foucault aujourd’hui : une pensée toujours d’actualité
Les analyses de Michel Foucault restent d’une grande pertinence pour comprendre les enjeux contemporains liés à l’incarcération. Dans un contexte où les prisons sont souvent surpeuplées et peu efficaces pour prévenir la récidive, Foucault offre des outils pour repenser leur rôle et leur fonctionnement.
En ce qui concerne la prison, Foucault invite à questionner l’idée qu’elle serait indispensable. Si son objectif est de réhabiliter, pourquoi échoue-t-elle si souvent? Et si son rôle principal est de punir, est-elle vraiment juste, sachant qu’elle cible principalement les populations marginalisées? Ces questions, posées par Foucault il y a plusieurs décennies, sont encore d'actualité aujourd’hui.
En analysant la prison comme un outil de contrôle social, il met en lumière les mécanismes invisibles qui maintiennent les inégalités et freinent les possibilités de transformation sociale. En repensant ces mécanismes, on peut alors imaginer des alternatives centrées sur l’inclusion, la justice et la dignité humaine. La pensée de Foucault demeure donc selon moi importante pour comprendre et transformer les institutions modernes.
Qu’en penses-tu?
Quels aspects des idées de Foucault te semblent les plus pertinents pour réformer les institutions actuelles?
À bientôt
Sarah
Références :
[1] : Foucault, M. (1975). Surveiller et punir : Naissance de la prison. Gallimard.
[2] : Grenier, Y. (2013). Une enseignante en milieu carcéral : L'éducation, la clé de la réinsertion sociale. Les Presses de l'Université Laval.
[3] : Jérémie Bentham, Panoptique : mémoire sur un nouveau principe pour construire des maisons d’inspection, et nommément des maisons de force, Paris, 1791 [archive]
[4] : Damphousse, M.-O. (2021). L’expérience de l’éducation en détention [Mémoire de maîtrise, Université de Montréal]. Papyrus.