Le crime, un produit de la société?
Plusieurs théories ont essayé, au fil du temps, d’expliquer l’agir criminel. Pensons notamment aux théories biologiques qui s’étendaient de l’étude de la morphologie, de la génétique à l’étude de l’intelligence [1].
Les théories psychologiques ont elles aussi essayé de comprendre pourquoi certaines personnes commettent des délits alors que d’autres non. Ces théories se concentrent particulièrement sur l’attachement, l’autocontrôle et sur les différents types de personnalités [1].
D’autres théories tentent d’expliquer d’un point de vue social les comportements délinquants. Parmi celles-ci, les théories de l’anomie et de la tension sont particulièrement intéressantes. Selon ces théories et plusieurs sociologues, la délinquance serait en fait le produit de l’environnement [1]. Parmi celle-ci, la théorie de l'anomie, développée par Robert K. Merton, explique comment le déséquilibre entre les objectifs culturels d'une société et les moyens disponibles pour les atteindre peut mener à la déviance [2].
Lorsque les individus n'ont pas accès aux moyens légitimes d'atteindre ces objectifs, comme la réussite ou la richesse, cela crée une tension. Pour y répondre, plusieurs adoptent des comportements déviants, comme le crime ou la fraude. Dans une société anomique, les personnes vont donc prioriser leurs objectifs et leurs buts sur les moyens pour les accomplir [1].
D’autres ont depuis proposé des théories similaires pour expliquer la délinquance. Pensons notamment à la théorie de la solution sous-culturelle de Cohen (1955), les opportunités différentielles de Cloward et Ohlin (1960) et plus récemment, l’anomie institutionalisée de Messner et Rosenfeld (1994).
La théorie de l’anomie institutionnalisée
La théorie de l’anomie institutionnalisée développée par Messner et Rosenfeld (1994) dans Crime and the American Dream propose que la société américaine valorise excessivement la réussite économique, faisant de l’argent le principal symbole de succès. Cette obsession crée une pression et une compétition constantes qui engendrent de la tension et de la frustration, particulièrement chez les individus qui ne possèdent pas les ressources nécessaires pour réussir à atteindre cet idéal.
Le contrôle social exercé par les institutions comme la famille, mais aussi l’école, est ainsi affaibli. En effet, certains parents jugent la réussite de leurs enfants seulement sur leur salaire ou leur travail, et non sur leur bonheur et leurs relations.
De son côté, l’école met parfois plus d’importance sur les notes et les diplômes, plutôt que sur l’épanouissement personnel ou le développement de bonnes valeurs. Ainsi, la réussite des élèves est souvent mesurée uniquement à travers leurs performances académiques, leurs notes et leur capacité à obtenir un diplôme permettant d’accéder à un emploi.
L’école, qui devrait être un espace d’apprentissage des valeurs sociales, d’esprit critique et d’émancipation, devient un outil de reproduction des inégalités sociales. Les élèves des milieux défavorisés, n’ayant pas accès aux mêmes ressources matérielles ou culturelles, vivent alors un désavantage. Plutôt que d’offrir une égalité des chances, l’école renforce les inégalités en privilégiant un modèle où la réussite économique est l’objectif ultime et où l’échec scolaire peut rapidement mener à l’exclusion sociale.
En adoptant les valeurs dominantes axées sur le succès économique, l’école oublie souvent sa mission première, soit celle de permettre à chaque individu, peu importe son origine, d’acquérir les compétences nécessaires pour contribuer de manière significative à la société et s’épanouir en tant que personne.
Lorsqu’on regarde plus précisément qui est en détention, on remarque rapidement que la majorité d’entre eux (j'utilise ici le masculin puisque la très grande majorité des personnes incarcérées sont des hommes) ont un passé similaire. En effet, la majorité ont eu des parcours marqués par des difficultés d'apprentissage, de mauvaises performances scolaires et un taux élevé d'abandon scolaire [3].
Les théories biologiques et psychologiques, les premières à avoir émergé dans les sciences de la criminalité, expliquerait évidemment ces difficultés comme intrinsèquement liées à l’individu. Cependant, les théories de la tension expliquent ces difficultés sous un tout autre angle. En effet, « la très grande majorité des délinquants ont eu un parcours scolaire chaotique, et plusieurs chercheurs pensent que l’école est un facteur de délinquance » (Ouimet, 2016, p.187). C'est ce sûr quoi portera mon prochain article de blogue de la semaine prochaine!
À bientôt!
Sarah
Références :
[1] : Ouimet, M. (2016). Les causes du crime. Presses de l’Université Laval.
[2] : Merton, R. K. (1938). Social structure and anomie. American Sociological Review, 3(5), 672–682. http://links.jstor.org/sici?sici=0003-1224%28193810%293%3A5%3C672%3ASSAA%3E2.0.CO%3B2-8
[3] : Snowling MJ, Adams, JW, Bowyer-Crane C, Tobin V. Levels of literacy among juvenile offenders: the incidence of specific reading difficulties. Crim Behav Ment Health. 2000;10(4):229-41.